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7 janv. 2020

De Charlie et la Daeshetterie à Nathan le Chahid : La crise humanitaire de la liberté d'expression

Le 7 janvier 2015 vers 11h30, les frères Kouachi entrent dans les locaux de Charlie Hebdo et font usage de leur kalachnikov.



Parmi les victimes se trouvent les dessinateurs Charb, Cabu, Honoré, Wolinski, l'économiste Bernard Maris, la psychanalyste et chroniqueuse Elsa Cayat, Michel Renaud, invité de la rédaction, le correcteur Mustapha Ourrad, deux policiers Franck Brinsolaro et Ahmed Merabet, et l'agent de maintenance Frédéric Boisseau.


Le 8 janvier 2015, Amedy Coulibaly, un français proche des frères Kouachi, tue par balle Clarisssa Jean-Philippe, une policière municipale à Montrouge. Le lendemain, il prend en otage les clients d'une supérette casher à la porte de Vincennes à Paris et en tue quatre, Philippe Braham, Yohan Cohen, Yoav Hattab et François-Michel Saada. Il est abattu lors d'un assaut du RAID et de la BRI. Il affirmait agir au nom de l'organisation djihadiste Daesh.

Edwy Plenel et le terrorisme

Edwy Plenel, après avoir appelé à défendre inconditionnellement les terroristes de l'attentat tuant 11 athlètes israéliens à Munich en 1972, tweetera en 2015 à propos des Frères Kouachi. En 2017, il accusera le journal Charlie Hebdo de faire "la guerre aux musulmans", ce qui sera qualifié par Riss, un survivant de l'attentat comme un nouvel appel au meurtre contre lui et son équipe.


Le terrorisme en débat binaire
 
En ce jour de commémoration de l'attentat qui a frappé Charlie Hebdo et fait douze morts, le hashtag #JeSuisCharlie refait son apparition sur les réseaux sociaux.
Une partie de la population française réaffirme son attachement à #JeSuisCharlie et une minorité quant à elle y réaffirme son opposition en expliquant qu'il s'agit d'une injonction qu'elle est libre de ne pas suivre. Une partie radicale de cette minorité va jusqu'à twitter la justification des attentats avec #JeSuisKouachi. L'équipe actuelle de Charlie Hebdo publie un numéro sur les nouvelles censures et de nombreux journaux ont publié des articles sur le droit au blasphème, la liberté d'expression et les projets de conquête des islamistes en Europe.

Les débats en France lors d'une attaque au couteau, à la voiture ou à la kalachnikov au cri d'Allahu Akbar posent la question de la santé mentale versus le terrorisme. Certains pensent se poser en sages en expliquant que les deux peuvent être liés.
A chaque attentat islamiste, les discours insistent sur la priorité de ne pas stigmatiser les musulmans et le recours à l'argument du déséquilibré, éludant la stigmatisation des personnes ayant des pathologies psychiatriques, fait son apparition suivant les analyses et instrumentalisations diverses autant par des associatifs que par des politiques.
Il est facile de se rendre compte que ce double binarisme sur qui est ou peut être stigmatisé et sur qui instrumentalise ne permet pas d'analyser les événements mais enfermera chacun dans les clichés et les préjugés.
Dans une société française de plus en plus sectaire et ignorante s'opère une réduction de l'altérité, de la circulation des idées, des images et des discours.

Raphaël Enthoven débat de la liberté d'expression

A titre d'exemple pour illustrer notre propos, le thread du professeur de philosophie Raphaël Enthoven :
0 - En cet anniversaire lugubre, et avant de se taire un peu, il convient de rappeler quelques évidences malmenées. #Charlie Hebdo
1 - Ce que montre Charlie Hebbo est libertaire. Et nul n'est tenu d'aimer ça. Mais ce que représente Charlie Hebdo est la liberté. Et chacun doit défendre ça. Suspendre le soutien à CH au contenu de ses dessins, c'est transformer une affaire de principe en question de goût.
2 - Les gens qui accusent Charlie Hebdo de "jeter de l'huile sur le feu" oublient un peu vite que le problème, c'est le feu. Pas l'huile. Quand un plat est empoisonné, celui qui met les pieds dedans est un bienfaiteur.
3 - Ceux qui disent "Ce n'est pas le moment de se moquer..."auront toujours une raison de dire ça. Jamais la société ne sera assez pacifiée pour qu'on se moque les uns des autres sans vexer qui que ce soit. Dire "Ce n'est pas le moment" = "dire "Ce n'est jamais le moment".
4 - Les gens qui disent "La liberté de la presse ? Oui, mais attention au blasphème !" ne sont pas des gens mesurés, mais des lâches qui donnent à leur trouille les contours flatteurs de la pondération. Et dorment tranquilles après avoir botté en touche.
5 - Les gens qui disent "Bien sûr, c'est horrible mais enfin, ils ne l'ont pas volé non plus !" ressemblent (en plus dramatique encore) à ceux qui, en cas de viol, s'en prennent à la tenue de la victime avant de dénoncer son agresseur.
6 - Les gens qui trouvent des excuses aux assassins en les présentant d'abord (ou aussi) comme les victimes de la société confondent l'excuse et l'explication. Hitler aussi a eu une enfance difficile. Ce qui explique bien des choses mais n'excuse rien.
7 - Le mot "islamophobie" est une arnaque verbale dont la raison d'être est de neutraliser le dialogue en faisant passer la (légitime) critique d'une religion pour l'ignoble haine de ses pratiquants #Charb.
8 - Les vrais "islamophobes" ne sont pas les gens qui moquent de l'Islam, mais les gens qui méprisent les musulmans au point de les croire incapables d'humour.
9 - Les véritables "blasphémateurs" ne sont pas les caricaturisstes mais les impies intégristes qui croient que Dieu se vexe comme eux ou qu'il a besoin de leur aide. "Le besoin d'un foi puissante n'est pas la preuve d'une foi puissante, mais du contraire" (Nietzsche)
10  - Les intégristes sont la honte de l'Islam et les indécis sont la honte de la République. Mais les premiers ne sont dangereux que lorsque ce sont les seconds qui gouvernent.

Charlie, la Chocolaterie et l'Ordre moral

Nous n'allons pas expliciter les biais et sophismes de son argumentation, mais juste affirmer que sous couvert de l'argument d'autorité "Professeur de philosophie", ce thread de Raphaël Enthoven indique le seul moyen possible pour parler du monde, le montrer, le penser et dicter une morale presque totalitaire au détriment des multiples formes possibles de différences et d'altérités.

Dans Charlie et la Chocolaterie de Tim Burton, nombreux se sont émus que l'adaptation cinématographique se soit autant éloignée du livre qui permettait à quiconque son interprétation  des personnages et du récit. Dans le film de Tim Burton, les personnages ne sont pas équivoques et complexes. D'un côté, quatre enfants riches ayant un des 7 pêchés capitaux, et de l'autre, l'unique pauvre, une sorte de ravi du village, ayant eu la chance d'avoir un ticket d'Or au troisième essai. Il gagnera grâce à sa naïveté, son émerveillement et sa croyance dans ses rêves d'enfant.



Suite à l'attentat de Charlie Hebdo, le Président de la République Française François Hollande, soucieux de laisser une trace dans l'Histoire de France, organisa avec de nombreux Chefs d'Etat, une marche le 11 janvier 2015 dont les photos firent le tour du monde.

Du choix de la Marseillaise à la mise à l'écart de la Présidente de l'extrême-droite Marine Le Pen et à la présence de représentants de pays où le blasphème vaut  condamnation et la liberté de la presse quasi-inexistante, de nombreuses polémiques quant à l'interprétation de cette marche sont nées. Emmanuel Todd avec son livre Qui est Charlie ? Sociologie d'une crise religieuse va créer une polémique surplombant les autres.

De Charlie et la Daeshetterie à Nathan le Chahid

Le 3 janvier 2020 vers 14 heures, Nathan C muni d'un couteau attaque plusieurs passants dans le parc des Hautes-Bruyères à Villejuif (94 - Val de Marne). Il épargnera un musulman capable de réciter une sourate et tuera un homme, Janusz Michalsky, au cri d'Allahu Akbar. D'abord annoncé comme déséquilibré en raison de son passé en hôpital psychiatrique, le parquet anti-terroriste se saisit de l'affaire. Nathan est un fils de hauts fonctionnaires français, brillant étudiant et fraîchement converti à l'Islam.

Nathan le Chahid fait penser au double maléfique de Nathan le Sage, une pièce de Lessing, un franc-maçon allemand faisant partie du mouvement Aufklärung, l'équivalent des Lumières en France.

Dans Nathan le Sage, Lessing pose une question et met en réflexion la parabole des trois anneaux.


"Le chrétien et le juif sont-ils chrétien et juif avant d'être hommes?"

En 2020, le gouvernement français se demande si les juifs, les musulmans et les catholiques sont des français juifs, des français musulmans et des français catholiques ou des Juifs de France, des Musulmans de France et des Catholiques de France. Quid de la majorité des citoyens français qui est à 29 % Athées et 34 % sans religion, soit un total de 63 % de citoyens non cléricaux selon l'enquête 2015 de Gallup International.

La parabole de l'anneau est considérée comme un des textes clefs de la philosophie des  Lumières et comme l'expression de l'idée de tolérance.

Un homme se fait faire un anneau qui détient le pouvoir de susciter l’amour pour celui qui le porte et qu’il lègue à son fils préféré en lui enjoignant de faire de même. L’anneau est transmis ainsi de père en fils jusqu’au jour où il échoit à un père également attaché à ses trois enfants. Se voyant mourir, il fait faire deux anneaux neufs par un orfèvre, et remet un anneau en secret à chacun de ses fils. Le père mort, les trois fils se disputent l’héritage, chacun persuadé de détenir l’anneau véritable.

Ne trouvant pas de compromis possible, puisque chacun détient la vérité de la bouche de son père et qu’il ne peut donc la remettre en question sans accuser ce père bien-aimé de lui avoir menti, les frères demandent au juge un arbitrage. Le juge remarque que l’anneau a la réputation de susciter l’amour de Dieu et des hommes, et qu’il suffit d’attendre pour voir quel anneau est efficace, à moins que le père n’ait fait fabriquer trois anneaux neufs et que l’anneau originel ne soit perdu. Il invite donc les frères à travailler pour l’avenir en s’efforçant de rendre les générations à venir les plus vertueuses possible.

Dans cette parabole on peut voir le père comme une représentation de Dieu, les trois fils étant les trois religions monothéistes, judaïsme, christianisme et Islam. Comme le père aime également ses trois fils, Dieu aime également les trois religions alors que celles-ci se disputent et prétendent chacune détenir la vérité au lieu d’imiter l’amour dont le père a témoigné à leur égard. Dans l’hypothèse où les trois anneaux seraient neufs le père apparaît comme le représentant d’une religion originelle ou idéale désormais perdue, et les fils comme trois religions révélées, historiques, également proches ou éloignées de la vérité première. Dans cette dernière perspective le juge représente Dieu qui recommande aux hommes de se préoccuper de l’éducation de leurs propres enfants au lieu de leur donner l’exemple détestable de ces querelles.

Du pluralisme des religions à la pluralité des interprétations ? 

L’étroitesse d’esprit, le dogmatisme, l’intolérance, le fanatisme sont, à des degrés divers, des formes d’enfermement dans un schéma mental.
Si la promotion d’un modèle théorique (la conviction qu’en dehors de mon approche, point de salut) est une dérive facile à comprendre, et aujourd’hui la plus dénoncée sur la place publique, l’autre dérive est probablement plus secrète et plus difficile à débusquer. On peut prendre comme exemple le psychologue qui est persuadé que tout déséquilibre psychique, tout symptôme, tout trouble de la conduite, s’origine dans un traumatisme infantile.
Dans le cours de la thérapie, il s’attendra à ce qu’un traumatisme soit évoqué, et, s’il ne l’est pas directement ou s’il tarde à venir, il aura tôt fait d’interpréter dans ce sens ce qu’il prend pour des signes. Là, enfin, on tient l’explication ! ("Le poumon, vous dis-je ! ")
Et le traumatisme clé, aujourd’hui, c’est évidemment d’avoir été sexuellement abusé. D’où la multiplication des procès rétroactifs que l’on a vu d’abord aux États-Unis, mais qui envahissent aujourd’hui l’Europe, où des membres de la famille (généralement des pères) sont traînés dans la boue, voire incarcérés, pour des souvenirs de leur progéniture qui relèvent plus souvent de fantasmes que de la réalité.
D’où aussi la contre-attaque des scientifiques qui ont démontré et démonté les mécanismes du " souvenir induit ", ou faux souvenir. Dans cet exemple de déviance, le principe moral et la théorie se rejoignent, comme souvent d’ailleurs. Nous avons donc pointé ici un autre exemple des dérives possibles de l’interprétation

Terrorisme et interprétations psychiatriques 

L’écho inédit trouvé par la trame narrative et scopique proposée par Daech s'explique par son adéquation avec les affres des subjectivités contemporaines et la faible pluralité interprétative. 

La dissolution d'un "Moi" inconsistant en un "Moi Idéal" nihiliste est-elle la clef de compréhension de ce que l’on nomme actuellement "radicalisation", dans sa forme la plus extrême, celle des demandeurs de martyre, les chahids ?
Il faut accéder à la pluralité interprétative : devenir capable de manipuler ses propres représentations et ses idées pour adopter, au moins temporairement et en imagination, d'autres points de vue que le sien. 
Car si les frères Kouachi étaient issus de milieux modestes comme le relatait Edwy Plenel, ce n'est pas le cas de Nathan le Chahid ou un Ben Laden. Les limites de l'explication sociale se montrent et démontrent facilement.

Les ressorts psychiques d'un processus de passage à l'acte mortifère avec l'addiction, le préjudice, les dialectiques avec un Idéal rédempteur interrogent aussi les formes de mélancolies contemporaines   chez certains sujets qui ne parviennent au sentiment d'existence que dans le projet d'une mort divine comme l'explique Sabine Riss, psychologue clinicienne en milieu carcéral, lors des États généraux de la psychiatrie sur la radicalisation.

A travers  quelles formes historiques - culturelles, religieuses, artistiques - la pluralité interprétative s'est-elle incarnée et développée en France ?

Le Moyen Âge a jeté les bases de l’autorité textuelle moderne, dont la carrière s’est élargie durant la Renaissance et la Réforme. Mais, dans le même temps, on vit apparaître une certaine méfiance à l’égard de l’autorité imposée des textes, méfiance où le pluralisme occidental a trouvé l’un de ses fondements. 
Cette répugnance à l’égard d’une perspective unitaire prit la forme d’un scepticisme interprétatif, qui ne s’intéressait pas seulement aux apories logiques du langage parlé, comme c’était le cas chez son prédécesseur antique, mais aussi aux apories logiques présentes dans l’écrit, dans les descriptions ou les représentations. 
L’autorité des textes fit naître des attitudes opposées, bien résumées dans le débat sur les éléments "réels" et "nominaux" du langage, tel que l’ont promu Augustin, Ratramnus de Corbie, Anselme de Canterbury, Pierre Abélard, Duns Scott ou Guillaume d’Ockham. 
L’incapacité à établir une frontière nette entre réel et fiction devint l’un des traits caractéristiques des genres lyrique, épique et romanesque, comme en témoignent les contes à la morale ambiguë de Chaucer, Boccace ou Christine de Pisan. 
Le goût pour la pluralité des interprétations réapparut chez les plus grands auteurs de la Renaissance : chez Pétrarque, qui consacra son cycle poétique à la persona à la fois réelle et imaginaire de sa maîtresse de jadis, Laure ; chez Montaigne, dont les Essais renoncent à la prétention absolue à la vérité en faveur d’interrogations sans fin sur les opinions antérieures. 

Le 21e siècle unit en ses débuts les méthodes reconnues d’écriture de l’histoire littéraire et les aperçus ouverts sur les dimensions cognitives, émotionnelles et thérapeutiques de la lecture.
L’histoire littéraire est nécessaire à l’enseignement de la littérature dans les établissements institutionnels ; l’histoire de la lecture, de même, est devenue un domaine fréquenté de la recherche académique : il suffit de penser aux travaux de Guglielmo Cavallo, de Roger Chartier, de Malcolm Parkes, d’Armando Petrucci ou de Paul Saenger. Ces différents éléments sont associés dans des programmes qui étudient les aspects économiques et sociaux de l’industrie éditoriale. Des questions éthiques ont ouvert le domaine de la critique littéraire à la recherche juridique, biologique et écologique. On se trouve donc à un carrefour où il est possible d’envisager une discipline littéraire mettant en œuvre aussi bien les connaissances de l’histoire de la littérature que celles d’une histoire plus vaste de la lecture, qui intègre ses dimensions psychologiques et neuroscientifiques. 

Nous et Eux,  Idem et Ipsé. L'Occident et l'Orient.

Cette confrontation est prise dans une série d’illusions.

Canard ou Lapin ?
La première consiste naturellement à croire que cette immense région extérieure à la culture française serait véritablement une, qu’il serait possible de la désigner en tant qu’unité, et donc que l’on pourrait ainsi l’opposer en bloc. 
Il s’agit en effet non seulement d’une désignation sommaire, presque rudimentaire, mais aussi et surtout d’une définition négative, qui énonce seulement ce que les cultures ne sont pas. Elle ne dit presque rien de ce qui les constitue en tant que telles. 
Or, c’est bien cette logique binaire qui, le plus souvent, domine nos discours quotidiens sur l’altérité et détermine notre expérience de la différence culturelle ou sociale.

La carrière scientifique d’un ethnologue est pratiquement toujours scandée par deux étapes typiques. Pendant la première moitié de sa vie, au retour de son terrain, le jeune chercheur (ou la jeune chercheuse) s’appliquera à convaincre ses collègues que la population qu’il a étudiée est inattendue, extraordinairement singulière, unique au monde.
Plus tard, la deuxième moitié de sa carrière scientifique sera, à l’inverse, entièrement consacrée à les convaincre que cette même population n’a rien de local. Il, ou elle, la présentera, au contraire, comme paradigmatique, exemplaire d’une vaste aire culturelle, ou même porteuse de traits généralisables à l’ensemble de l’humanité. 
Les sociologues faisaient de même avant l'émergence de militants où leur idéologie notamment marxiste doit primer sur les découvertes et recherches scientifiques. Le cas des Pincon-Charlot est éloquent où ce qu'ils décrivent sur les riches, s'appliquent à toute communauté. De même pour les sociologues féministes dont une majorité en France est incapable de penser que l’agresseur dans un couple peut être la femme. Or, la psychologie évolutionnaire l'explique pourtant très bien. 

Quelles sont  les bases cérébrales et mentales d'une telle capacité chez l'enfant et l'adulte pour permettre la tolérance et le débat d'idées ?

La psychologie du développement et la psychologie cognitive se sont focalisées sur la période située entre l’acquisition du langage et l’entrée à l’école, et ont ainsi montré que les plus jeunes, dès le premier âge, manifestent avec une évidence frappante des changements dans leur perception d’eux-mêmes et des autres. Ils montrent notamment leur capacité à croire, imaginer et faire semblant, qui révèle leur accès à la distinction entre le monde et les représentations mentales du monde. Ils comprennent, de même, la différence entre apparence et réalité, expérience mentale et contenu de l’expérience, les énoncés et leur interprétation. 
Ces activités tendent à prouver qu’ils possèdent déjà une théorie de l’esprit, c’est-à-dire une théorie mentale de l’action humaine, rudimentaire mais cohérente. Les recherches sur les croyances, les désirs et les intentions chez des enfants d’âge préscolaire ont aussi mis en évidence un lien avec l’usage de règles normatives et de stratégies interprétatives.
On a pu décrire ce phénomène comme le début d’une culture de la rationalité, qui atteint, de 6 à 9 ans, un stade plus élevé, réflexif et mental, développant par exemple des croyances sur les croyances, des intentions à propos d’intentions, des émotions sur des émotions. 
Des recherches récentes au laboratoire de l'Université Paris Ouest ont montré que, chez l’enfant, la capacité à reconnaître la pluralité de points de vue, acquise entre 8 et 10 ans, ne suffisait pas à assurer le développement intellectuel de l’enfant et l’ouverture sociale sur la tolérance.
Des enfants de 9 ans qui avaient le même QI, disposaient des même capacités cognitives (y compris dans leur "théorie de l’esprit", leur capacité à se décentrer et à voir le point de vue de l’autre, ou du point de vue de l’autre), qui fréquentaient les même classes avec les même professeurs, qui appartenaient aux mêmes milieux socio-culturels, mais qui, pour certains, réussissaient bien en classe, alors que d’autres présentaient des difficultés d’apprentissage, avec leur train de problèmes annexes qui généralement prennent la forme soit de la dépression et de l’inhibition, soit de troubles du comportement. 
L'hypothèse, classique, était que les enfants en difficulté, à capacités cognitives égales, présentaient des troubles affectifs. Ce n’est pas du tout ce que a été trouvé. Ce qui faisait la différence entre ces deux groupes d’enfants, c’était la présence ou l’absence de la capacité à reconnaître et supporter un conflit, cognitif et affectif. 
Autrement dit, ce n’est parce qu’ils auraient été capables d’inhiber leur point de vue pour laisser place au point de vue de l’autre, mais bien parce qu’ils étaient capables de maintenir les deux présents simultanément, de les confronter et de douter – ainsi que de supporter l’inconfort affectif que ce doute entraîne – que certains de ces enfants avançaient à pas de géants dans leurs apprentissages comme dans les rapports sociaux. Piaget lui-même a placé au cœur du mouvement de maturation progressive de l’enfant la notion de déséquilibre. 

Peut-on l'enseigner aux enfants et comment afin qu'ils soient mieux prémunis contre les discours sectaires, les discours intégristes religieux ou mortifères ?

Par suite, c’est la frontière traditionnelle entre nature et éducation qui s’est déplacée. On a montré que le pluralisme interprétatif apparaît par étapes dans l’adolescence lorsque des forces cognitives et culturelles s’influencent réciproquement. Cette interaction est observable dans tout un ensemble de tâches cognitives, par exemple dans le raisonnement déductif et inductif accompagné de méta-conceptualisation. 

Les adolescents raisonnent par déduction, indépendamment de l’idée qu’ils se font du caractère de vérité ou non des prémisses sur lesquelles ce raisonnement est fondé ; la compréhension au méta-niveau des stratégies de raisonnement — leur but, leur puissance, leurs limitations, leurs possibilité d’applications — est au moins aussi important que de savoir, au niveau de la performance, comment appliquer ces stratégies. 
Le raisonnement par induction, lorsqu’il ne se fonde pas sur un apprentissage par association, implique aussi un mélange de changements conceptuels et cognitifs. Les enfants se servent de théories implicites pour donner sens à leur expérience ; les adolescents se mettent à construire "scientifiquement" une théorie, qui se définit dans ce contexte comme une théorie dont le but est de corriger, de compléter ou d’accroître la connaissance. 
Tandis que les enfants sont absolutistes dans leur approche de l’épistémologie, les adolescents s’engagent dans une argumentation, c’est-à-dire dans un processus dialogique où comparer logiquement des affirmations opposées. Lorsque cette dernière approche prend la relève, les prétentions absolutistes à la connaissance sont abandonnées et le développement se poursuit vers un haut degré de multiplisme ou de relativisme. 
Ces réponses, acquises dans l’adolescence et maintenues à l’âge adulte, sont parmi les causes les plus durables du comportement normatif. On peut les décrire comme une "institutionnalisation" personnelle de l’apprentissage. 
Dès que cette "institution" s’est faite, elle tend à suivre son propre mouvement : elle fonctionne comme une bureaucratie interne et dit à ses membres comment agir en certaines circonstances sans avoir à penser aux raisons de le faire, exactement de la même façon qu’ils apprennent à lire et oublient ensuite comment ils l’ont appris. 
La lecture, en tant que fondement de l’éducation occidentale, est peut-être le meilleur moyen d’acquérir cette structure stable d’institutionnalisation mentale. La façon dont nous apprenons à lire, donc, et, surtout, l’interrogation sur l’aide que notre lecture apporte à la diversité des interprétations ou, au contraire, à leur réduction, peut jouer le rôle de modèle pour la formation du comportement en d’autres domaines. Il peut également exister des fondements tout à la fois cognitifs et historiques à des comportements sociaux aberrants associés à des communautés ethniques, religieuses ou géographiques en désaccord avec les normes admises.
Quel est le prix de cette "dépense cognitive", et comment se règle-t-il ? Nous l’ignorons encore. 

Répondre à ces questions permettrait de commencer à limiter l'expression de l'intolérance et ces rencontres entre une offre de mort distillée par l'application littérale des textes coraniques en raison d'une interprétation unique proposée par Daesh et des théocraties musulmanes avec des sujets français errants. 

La liberté d'expression et la crise de l'Homme

L'histoire de l'humanité et de la France est jalonnée par des conflits entre, d'une part, la libre effervescence des pensées libres, fondement de la démocratie et de la tolérance et, d'autre part, l'oppression de modèles uniques de pensée qui conduisent au dogmatisme, aux attitudes fermées et à divers degrés de violences. 
Face aux autoritarismes en tous genres, l'idée d'une pensée ouverte aux opinions diverses est devenu un enjeu majeur de la société française et de la civilisation. Ce début de siècle est  paradoxal avec des progrès manifestes des droits de l'Homme (hommes, femmes et enfants) et de la démocratie mais aussi avec des centaines de millions de personnes victimes d'une intensification de massacres religieux et soumises à la contrainte oppressive de règles sociales imposées par des interprétations uniques de textes sacrés, ce qui conduit à l'intolérance. 
De même avec les injonctions de certains milieux LGBT et féministes sur comment draguer, comment regarder, comment appeler, quand changer de sexe, pourquoi la GPA est la liberté et non une marchandisation des corps, etc...

Les mécanismes de compréhension du point de vue d’autrui ne doivent pas être confondus avec les mécanismes permettant de réagir à ce point de vue. Notre capacité à changer de point de vue et à prendre en compte celui d’autrui n’est donc pas unitaire, mais recouvre un ensemble de dispositions psychologiques distinctes reposant sur des bases cérébrales spécifiques.


Quelle était la meilleure religion ?

Comme ils n'arrivaient pas à s'entendre, ils décidèrent de mettre un terme au débat par une ordalie. Ils s'attacheront leurs deux mains ensemble et placeront cette poignée de main sur le feu. Ils sont d'accord sur le verdict de l'ordalie : la main de celui dont la religion est la meilleure ne brûlera pas. Au bout d'un moment, il les retirent. Aucune main n'a brûlé. Elles sont intactes. L'ordalie a raté. 

Malik en conclut, non sans raison, que les gens vont penser que les deux religions se valent, qu'elles sont également bonnes et vraies, qu'il n'y a pas plus de raison de suivre l'une plutôt que l'autre. Malik rumine et retourne ces idées dans sa tête puis rentre chez lui très malheureux. Il prie et pleure. Puis tout d'un coup, au milieu de sa prière et de ses larmes, il entent une voix céleste qui lui dit : "Malik ne pleure pas, c'est la main de l'athée laïc qui a protégé ta main."

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